Je voudrais vous présenter aujourd’hui une montre qui me tient particulièrement à cœur. Elle fait partie de la série des Speedmaster d’Omega, la gamme de montres qui a équipé la NASA à l’occasion de l’ensemble de ses missions spatiales, les célèbres missions lunaires (Apollo, Gemini…) en particulier. C’est la Speedmaster « classique », dite Professional, ou encore « Moonwatch », qui remplit ce rôle. Mais Omega, flairant le bon coup, a depuis longtemps sorti tout un tas d’éditions spéciales, plus ou moins limitées, destinées à commémorer tel ou tel acte de bravoure spatial, tel événement lié à la conquête de l’espace, ou encore tel anniversaire particulier qui trouve à s’incarner dans l’iconique Speedmaster. La Speedmaster 125 relève de la dernière catégorie. Elle a été produite en 1973, à l’occasion des 125 ans de la prestigieuse manufacture fondée par la famille Brandt. Omega a choisi pour cette occasion de faire appel à son modèle phare entre tous, mais en le réinterprétant d’une manière typique des années 70. Il en ressort cette montre au boîtier improbable, au design unique, massif et cohérent, qui à la fois se distingue de toute Speedmaster ayant existé jusque-là ou à venir (y compris les spéciales « Mark » II, III, IV et V), et qui à la fois partage un ADN commun immédiatement identifiable avec ses consœurs.
La Speedmaster 125 avait tout pour elle. Elle a été le premier chronographe automatique certifié chronomètre vendu. Evidemment, de nos jours un chronographe automatique ça parait presque banal, mais il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Le remontage automatique d’un chrono était considérée à l’époque comme « la dernière grande complication à atteindre », et ce n’est que quatre ans auparavant que les tous premiers chronos automatiques sont apparus (El Primero en janvier 1969, le chrono-matic Calibre 11 en mars 1969, ou encore le Seiko 6139 en janvier 1970), ce qui rend l’exploit d’Omega encore plus probant.
Cette série limitée, produite à 2000 exemplaires, ne fait toutefois l’objet d’aucune gravure particulière, comme c’est souvent le cas chez Omega, ni sur le boîtier, ni sur le fond de la boîte. Il n’y a nulle part de numéro de série spéciale, du type XXX/2000 ou équivalent.
Cette montre est donc plutôt rare. Elle est aussi mythique, car il s’agit du tout premier chronographe (calibre 1041) à avoir bénéficié de la certification COSC (Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres). Seules 3% des montres Suisses reçoivent ce certificat.
D’après Omega Saga (vous trouverez sur ce blog un scan du chapitre consacré aux Speedmaster : partie 1 et partie 2), même si la Speedmaster n’a aucun lien direct avec la moonwatch, avec l’aventure spatiale, la NASA et les missions lunaires, il y a tout de même une date clé, c’est le 19 avril 1991, avec la visite à Bienne du général Vladimir Djanibekov, ex-instructeur en chef des cosmonautes soviétiques, l’un des premiers recordmen mondiaux des séjours en orbite, avec 145 jours et 16 heures. A cette occasion. il fait don au Musée Omega de la Speedmaster qu’il portait lors du périple Soyouz 27 – Saliout 6 – Soyouz 26 de 1978. Mais, contre toute attente, il ne s’agit pas de la classique Speedmaster Professionnal. C’est du chronographe automatique Speedmaster 125 dont il s’agit. Djanibekov devait donc remonter manuellement sa 125 durant sa mission, car la masse oscillante n’a aucun effet en apesanteur, remontage manuel auquel étaient évidemment confrontés aussi tous ses collègues cosmonautes, qui, eux, tous et sans exception, étaient équipés de la Speedmaster Professionnal. La pièce donnée par Djanibekov est en outre munie non pas d’un bracelet Velcro, mais d’une lanière en tissu élastique.
Le mouvement
La couronne (siglée Omega) peut prendre trois positions différentes.
en position de base (1), on peut remonter manuellement la montre
en position 2, on peut régler instantanément la date (en tournant la couronne dans le sens horaire, bien entendu en s’assurant préalablement que vos aiguilles se situent entre 3h et 8h, afin d’éviter tout risque de déréglage du mécanisme de changement automatique de date)
en position 3, on peut régler l’heure. L’existence (point n°5 sur le schéma) d’une flèche des 24h, permet de savoir immédiatement si nous sommes le matin ou l’après-midi.
Le reste (boutons poussoirs A et B, guichet/compteur 7/ est classique sur un chronographe de type Speedmaster. Les deux spécificités de cette 125, ce sont donc le quantième (guichet à date) et le totaliseur 24h.
calibre 1040, que l’on retrouve sur la Speedmaster mark III
calibre 1041 de la Speedmaster 125
Le Calibre Omega utilisé dans cette montre (1041) a pour origine et base le calibre Lemania 1341. Ce 1041 est une évolution du calibre 1040, que l’on trouve dans la Speedmaster mark III (1971-1973), et dans la Speedmaster mark IV (1973), et aussi dans plusieurs Seamaster de cette époque (1970 à 1976). Il y a quelques pièces différentes et rhodiées dans le 1041 (pont, rotor, plateau), mais seul le 1041 est certifié COSC, alors que le 1040 ne l’est pas.
Le bracelet
La Speedmaster 125 est équipée d’un bracelet en inox intégré au boitier (référence 1221/212), ce qui est rare (aussi bien à cette époque que de nos jours). Il est certes techniquement possible de monter cette tocante sur un cuir, ou sur un autre bracelet, mais c’est vraiment un exercice périlleux (et accessoirement, pour avoir croisé un exemple une fois sur le net, c’est passablement hideux). Le bracelet d’origine est donc de type « lingots horizontaux », lourds et massifs, parfaitement raccord avec l’esprit de cette montre sans concession.
Ce bracelet a été progressivement remplacé, par Omega, à partir de 1977 par un bracelet référencé 1225/212, semble-t-il, par incapacité de la part d’Omega à produire en quantité suffisante le bracelet d’origine. Il est par conséquent quasi impossible de nos jours d’avoir des maillons de rechange pour le bracelet d’origine. J’ai pour ma part le bracelet d’origine 1221/212 de côté, et la montre est montée sur son bracelet de service 1225/212. Même si ces deux bracelets sont massifs, le bracelet de service l’est clairement un peu moins !
Le cadran
Le verre minéral comprend une échelle incorporée, sur le modèle typique des séries spéciales (Mark…), la plupart du temps une échelle tachymétrique. Le cadran comprend une particularité étonnante et qui contribue, à mes yeux, notablement à son charme : le logo appliqué, la marque, et le chiffre 125 sont une sorte de métal très sombre, presque noir. Noir sur noir, mais avec des reflets brillants sous certains angles, ce logo est une réussite totale et maîtrisée. Les connaisseurs savent que c’est une Omega, les autres doivent faire un effort particulier, tordre le cou par exemple, pour le découvrir. Le cadran comprend classiquement une petite seconde à 9h, comme sur toute Speedmaster, agrémenté ici d’un totalisateur 24h, une double aiguille du chronographe (la seconde du chronographe c’est la trotteuse « épée », la minute la trotteuse « avion »), et enfin un quantième à 3h.
La montre a une largeur sans couronne de 42mm, et une largeur avec couronne de 44.8mm. Plutôt que de gloser longtemps sur ces dimensions, somme toute très contemporaines, voici le tableau comparatif et récapitulatif des dimensions d’un certain nombre de Speedmasters, tel qu’établi par http://chronomaddox.com/speedmaster125.html :
Comparison of the dimensions of Selected Speedmaster Chronographs. | ||||
Measurement/Photo:(Not consistently sized) | ||||
Model Name: | Speedmaster 125 | Speedmaster Automatic c.1045 with Bar Bracelet | Speedmaster Mark III | Speedmaster Pro. (Pre-Moon) |
Model Reference: | ST378.0801 | ST176.0016 | ST176.0002 | ST145.012 |
Movement Caliber: | Omega c.1041 | Omega c.1045 (Lem. 5100) | Omega c.1040 | Omega c.321 |
Base Caliber: | Lemania 1341 | Lemania 5100 | Lemania 1341 | Lemania 2310 |
Movement Type: | Automatic | Automatic | Automatic | Manual |
Case: | ||||
Length Overall: | 51mm | 48.8mm | 51.7mm | 47.5mm |
Width w/o Crown: | 42mm | 39.2mm | 40mm | 41.6mm |
Width with Crown: | 44.8mm | 42mm | 43.3mm | 43mm |
Thickness: | 15mm | 15.1mm | 16mm | 12.9mm |
Lug Size | Not Applicable | Not Applicable | 22mm | 20mm |
Bracelet: | ||||
Width at case: | 26mm | 25.2mm | 22mm | 19.8mm |
Width at clasp: | 15.5mm | 15.6mm | 15.5mm | 15.6mm |
Thickness at case: | 2.6mm | 4.3mm | 3.1mm | 3.4mm |
Thickness at clasp | 2.5mm | 3.7mm | 3.1mm | 3.4mm |
Weight: | ||||
With Bracelet: | 182.9g | 155.15g | 157.12g | 135.05g |
With Strap/EOT: | Not Applicable | Not Applicable | Not Applicable | 77.66g |
Remarks: | ||||
Model Specific notes: | Comes with an integrated Bar-Style bracelet that is integrated with the case. NOTE: All measurements are taken with the « 2nd Generation » bracelet that is on the author’s example of the Speedmaster 125… | Has a similar heavy bar bracelet to the 125 and a similar feature set. | This watch (along with the Speedmaster Mark IV) is closest internally to the Speedmaster 125. | This watch is included as a common « control » watch for purposes of comparison. I typically have this watch on a strap but weighed it with a current model (non-hair pulling) bracelet for this article… |
General Notes: | Measurements were made with a VITA PQ100 Caliper, and a Pocket-Tech Electronic Digital scale by Gram Precision. All measurements except for the Strap/EOT measurement were made with an proper Omega Bracelet sized to my 19.5 cm (8 inch) wrist. |
Épilogue
Mon modèle a connu une existence tumultueuse. Achetée aux enchères, elle a été portée durant presque 40 ans par un général de l’Armée de Terre. Grand officier de la Légion d’honneur, son précédent propriétaire a été à l’origine de la création d’une unité d’élite de l’Armée. Je n’ai certes rien d’un grand militariste, et le mot est faible, mais connaître l’histoire de cette montre me rend comme débiteur d’une parcelle de celle-ci. Elle connaît à présent un quotidien d’une autre nature, certes, mais l’ADN de son ancien propriétaire, dans la mesure où je sais de qui il s’agit, vit encore à travers elle et à travers moi. Je ne suis pas prêt de me séparer de cette montre, qui est et reste pour l’instant « dans son jus ». Le cadran est parfait, la patine des index au tritium aussi. La lume des aiguilles a largement disparu. Enfin, cette montre tient l’heure sans la moindre difficulté et tutoie encore, 42 ans plus tard, le COSC, avec une aisance déconcertante.
La cote
La Speedmaster 125 a une place à part parmi les chronographes. Ce n’est certes pas le premier chrono automatique, ni un modèle qui a connu l’aventure spatiale. Mais cette montre a tout de même été au cœur de plusieurs primautés : c’est le premier chrono automatique certifié COSC ; la première montre à avoir un verre minéral (le saphir n’était pas possible pour une telle dimension) ; la première fois qu’Omega fête un de ses anniversaires par une série limitée. C’est enfin une montre triplement unique, puisque ni le mouvement, ni le boitier, ni le bracelet de la 125 ne seront utilisés dans une autre pièce Omega. Cette montre caractérise les 125 ans d’Omega et rien, absolument rien, d’autre.
Cette montre devrait atteindre des sommets sur le marché du vintage, compte tenu de son caractère très limité. Pour autant (cf. infra), on en trouve régulièrement sur le marché de l’occasion, à des tarifs somme toute raisonnables (comptez à ce jour – début 2016 – entre 1 200€ pour une 125 très très vintage, et 2 400€ pour une version totalement rhabillée par Omega). Mais on peut penser que cette montre est un bel investissement d’avenir ; les années vont passer, de moins en moins de modèles seront disponibles, et le design absolument unique de cette montre en feront tôt ou tard un must-have.
Conclusion
Mais ne croyez pas que cette montre fut un succès. C’est au contraire l’un des plus cuisants échecs de la marque de Bienne. Seuls 2000 exemplaires furent produits, là où Omega produit en centaine de milliers des Mark II ou IV, des millions de Speedmaster Pro. Pourquoi il tel fiasco ? Impossible à dire, mais il s’agit peut-être de ce boitier si massif, spécial, unique, oversized pour l’époque (et encore très massif à l’aune des goûts actuels). C’est une montre qui peut fortement intimider, si j’ose dire. Au porté, elle ne convient clairement pas à tout le monde. Même une G-Shock sans concession passe mieux au poignet de beaucoup, que cette 125. Son poids avec bracelet est de 183g.
La 125, c’est vraiment MA montre par excellence, bien plus que la moonwatch elle-même. C’est celle qui me caractérise et m’incarne le mieux. Celle dont je ne me séparerai pas.